Z – Restaurer l’Église des Actes ?

Avant de vouloir restaurer une hypothétique église des Actes, il nous faut nous demander si le modèle que l'on pourrait en tirer est pertinent aujourd'hui. Pour cela commençons par répondre à cette question : Luc a-t-il voulu écrire une histoire de l'église primitive ?

Les Actes couvrent une période d'environ 34 ans : de l'année 30 (mort et résurrection du Christ) à l'année 64 (après les deux ans de Paul à Rome). C'est le livre du mouvement : de Jérusalem à Rome, de l'Ancienne Alliance à la Nouvelle Alliance, des Juifs vers les païens, jusqu'aux extrémités de la terre. C'est un livre d'histoire de l’Église, mais pas dans le sens historique. Plutôt dans le sens spirituel c'est-à-dire de l'Esprit Saint. D'un point de vue purement historique1 c'est un livre déséquilibré et partiel :
- Luc raconte comment le message de Paul est arrivé à Rome (où il y avait d'ailleurs déjà une église). Il ne s'intéresse pas à l'expansion de l’Église vers la Mésopotamie, ou L’Égypte et l'Afrique du Nord. Il ne parle pas de certains lieux évangélisés, que l'on retrouve dans les épîtres (Illyrie : Romains 15,19 ; Pont, Cappadoce, Bithynie : 1Pierre 1,1 ; Crète : Tite 1,5...)
- Luc parle brièvement de Jean et de Jacques (Actes 12), et pas du tout des autres apôtres. Son livre ne devrait pas s'appeler « Actes des apôtres » mais plutôt « Actes de Pierre et Paul ».
- Luc s'intéresse peu à la biographie des apôtres dont il raconte les actes : Pierre disparaît du récit quand il passe la main à Paul pour la conversion des Gentils. Et la personnalité de Paul n'intéresse que peu Luc qui se focalise sur sa mission auprès des gentils.
- Luc n'a pas pour but de décrire l'organisation de l’Église. Il mentionne des rôles (anciens, prophètes, docteurs, apôtres), mais il ne les explique pas. On ne sait pas comment s'est organisée l’Église de Jérusalem après le départ des sept (qu'on appelle souvent diacres, mais que Luc n'a jamais appelé ainsi), ni comment on est passé du leadership des apôtres au leadership de Jacques frère de Jésus (12,17 ; 15,13 ; 21,18). Bien sûr par déduction on pourra en tirer pas mal de renseignements sur les rôles dans l’Église, mais ce n'est clairement pas l'intention de Luc de donner un modèle d'organisation de l’Église.
- Luc s’intéresse énormément au phénomène de conversion. Il décrit des conversions de masses et des conversions individuelles. Mais il décrit peu la manière dont s'organisent les nouvelles communautés.

La réponse à notre question initiale est négative : Luc ne voulait pas écrire un livre d'histoire de l’Église. Donc si nous voulions restaurer l’Église des Actes nous serions bien embarrassés.

La question change alors de perspective : comment peut-on utiliser les actes dans un effort de réformation ou de restauration de l'église ? Car outre que l'intention de Luc n'est pas de décrire l’Église mais de parler de la puissance de l'Esprit, il se trouve que l'Église des premiers siècles a surgit dans un contexte totalement différent du nôtre. Elle ne vivait pas en situation de modernité, elle n'avait pas encore quitté l'ère apostolique et elle n'avait pas un canon des écritures. De fait, la plupart des églises au niveau local ne disposait pas de la bibliothèque du Nouveau Testament telle que nous la possédons. Par ailleurs, nous ne connaissons probablement pas tout de la pratique ni des institutions des chrétiens de cette époque-là. Le copier-coller n'est donc absolument pas possible. Et s'il l'était, probablement ne serait-il pas souhaitable.

Alors comment restaurer l'Église ? Et surtout comment le faire dans le contexte de la modernité ? Certainement pas en restant dans une lecture littérale de la Bible et des Actes. L'effort herméneutique consiste alors à chercher, dans une réflexion systématique2, comment actualiser3 et mettre en pratique les principes bibliques issus de l'esprit4 des textes plutôt que l'application incohérente de préceptes intuitifs ou irrationnels5. Pour le dire autrement il ne s'agit pas d'imiter ce qu'on fait les premiers chrétiens ni même comment ils l'ont fait, mais d'avoir les mêmes motivations qu'eux et d'imiter le pourquoi ils l'ont fait.

« Lorsqu’on dit des Actes des Apôtres qu’ils sont un complément de l’évangile de Luc, on ne leur rend pas justice : la question se pose alors de savoir leur raison d’être, pourquoi Luc a jugé non seulement utile, mais nécessaire de les ajouter à l’évangile alors que les autres évangélistes ne proposent rien de tel ?
La vérité est donc que les Actes entretiennent un rapport plus profond, plus essentiel, avec l’évangile : celui-ci représente une promesse dont les Actes sont l’accomplissement. Vous me direz alors sans doute : mais si les Actes sont l’accomplissement, alors ils suffisent, quel rôle jouons-nous donc nous-mêmes aujourd’hui ? Il faut qu’il soit clair que nous continuons aujourd’hui encore d’écrire les Actes. Certains commentateurs ont fait observer que, si la finale des Actes, dans laquelle on découvre Paul "proclamant le Royaume de Dieu et enseignant ce qui concerne le Seigneur Jésus-Christ" (28,31), n’était pas vraiment une finale, c’est que la finale resterait éternellement à écrire.
Autrement dit, les Actes définissent un objectif, des moyens, et en montrent une première mise en œuvre : c’est en cela qu’ils constituent un accomplissement »6.

Les Actes sont donc le témoignage non contraignant de l'accomplissement d'une promesse par la mise en mouvement d'hommes de Dieu qui s'appuient sur la puissance de l'Esprit Saint. Cette mise en mouvement semble nécessiter deux prérequis pour ceux qui, par la foi, veulent construire la maison de Dieu (1Timothée 3,15) :

1/ être ouverts ! C'est à dire ne pas s'accrocher à des schémas (traditions) et être prêt à se remettre en question. Le chapitre éminemment important d'Actes 15 nous montre que nous devons développer un modèle d'église qui puisse attirer tout un chacun dans la fraternité et ne pas créer un groupe sociologiquement marqué. Cela passe donc par l'abandon de certaines habitudes plus religieuses que réellement spirituelles.

2/ être spirituels ! Car si l'intention n'est pas d'imiter un modèle de structure, il s'agit plutôt d'imiter l'Esprit de cette église. En Actes 5,29 Pierre répondit ainsi que les apôtres: Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. [...] 32Nous sommes témoins de ces choses, de même que le Saint-Esprit que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent. Être les témoins de ce que Dieu a produit dans notre vie et prêcher le royaume de Dieu voilà l'objectif. La structure de l’église est un moyen, certes nécessaire, mais seulement un moyen.

Il ne s'agit donc pas de restaurer l’Église du premier siècle, mais son état d'Esprit : un état d'esprit... Saint, un esprit d'ouverture et d'obéissance. Dans la simplicité (2Corinthiens 11,13), et non dans la religiosité, quasiment totalement absente de la vie des premiers chrétiens en particulier de ceux issus du paganisme (les juifs continuant à observer leur tradition).

Pour méditer :

Luc décrit un « mouvement » initié par l'Esprit Saint. Un « mouvement » joyeux, triomphant, surmontant les obstacles internes et externes pour faire progresser l’Évangile du monde juif vers le monde païen et qui résulte en de nombreuses conversions et en de nombreuses communautés locales.
Quand on lit les Actes on a envie de chanter : « Oh when the Saints go marchin' on, Oh yes I want to be in that number ! ». L’église dont je fait partie me donne-t-elle envie de joindre ma voix à ce cantique ?


Notes

1  Le mot historique correspond à une méthode de reconstitution des faits du passé qui cherche à être impartiale (dans la mesure du possible) et qui utilise des sources en les examinant de manière critique.

2 C'est à dire dans une cohérence qui recouvre l'ensemble des textes bibliques (incluant la prise en compte de la progressivité de la révélation) ainsi que les connaissances humaines acquises par les sciences (sciences humaines incluses, dont la théologie).

3 C'est à dire dégager les principes bibliques et les adapter à la situation actuelle de l'église dans la société.

4 Peut-être faut-il écrire Esprit avec un E majuscule.

5 Nous ne serions pas les premiers à faire cet effort. La grande majorité des textes du Premier Testament dans leur forme actuelle est issue de l'actualisation des textes en fonction des évènements. Certains textes du Nouveau Testament également. Par exemple, les épîtres pastorales, si on les considère comme issues de l'école paulinienne, c'est-à-dire comme écrites par des disciples de Paul plutôt que par Paul lui-même, sont un bon exemple d'actualisation et de formalisation de la pensée de Paul. De la même manière on peut considérer le livre de l'Apocalypse comme une actualisation du livre de Daniel ...

6 Hervé PONSOT, « Paulissimo », domuni – université dominicaine sur internet, 2010.

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