Faut-il se soumettre les uns aux autres ?
Question : Voici comment je comprends Ephésiens 5,21. On a le contexte en 5,1-2 : marchez dans l'amour et imitez Dieu. Ensuite on trouve une liste de choses pour imiter à Dieu. Parmi celles-ci il parle de la soumission comme un des principes de vie d'un disciple : avoir un cœur soumis.
Dans la bible et dans l'église, je trouve plusieurs "règles" de soumission : Bien sûr, tous à Christ, femme au mari, femmes aux hommes dans l'église, disciples aux dirigeants dans leur domaine. Donc dans l'église, nous devons pouvoir nous soumettre aux autres, mais dans les "règles" de soumission énoncées.
Par exemple : si quelqu'un prêche la Parole de Dieu, je me soumets à la Parole et au frère qui prêche avec autorité (Tite 2,15) ; mais si je suis le dirigeant, cette même personne doit se soumettre à moi quand je prends des décisions pour l'église. Ou si un autre est responsable de la classe des enfants : je me soumets à lui dans sa responsabilité, si il décide certaines choses ; mais si je suis le président du bureau, le responsable de la classe des enfants se soumet à moi dans les décisions que je prends concernant le budget (de la classe des enfants) par exemple.
Dans ce sens on se soumet l'un à l'autre. C'est à dire, je dois être capable de me soumettre à n'importe quel frère si Dieu me le demande. Sinon, si on l'interprète comme ça arrange certains, cela ne veut plus rien dire : dans ce cas là, soumettez-vous les uns aux autres peut donner droit à la femme d'exiger que son mari se soumette à elle !
Vois-tu ce passage de la même manière ? Peut-être que le Grec éclaire cela ?
Franck
ὑποτασσόμενοι ἀλλήλοις ἐν φόβῳ χριστοῦ.
hupotassoménoi allèlois en phobôi Christou
Etant soumis les uns les autres dans la crainte du Christ.
Eléments de réponse :
Il y a dans cette question beaucoup de complexité, ce qui est normal quand on passe de la théologie théorique à la théologie pratique.
En tant que lecteur d'Ephésiens à l'ère moderne, il y a plusieurs paramètres à prendre en compte afin dans un premier temps de chercher au moins succinctement ce que l'auteur voulait dire à ses destinataires et ce que les destinataires pouvaient en comprendre à l'époque (Exégèse). Puis dans un second temps, en restant en accord avec ce que nous aurons trouvé, il nous faut chercher ce que ce texte a à nous dire à nous aujourd'hui (Herméneutique) ce qui nécessite de réfléchir à la fois au contexte dans lequel nous recevons cette lettre, et à ce que les autres auteurs bibliques ont à nous dire sur le même sujet.
Mais la question ici est double : d'abord sur la signification d'Ephésiens 5,21, ensuite sur le concept de soumission qui ne se réduit pas à Ephésiens 5,21 comme le montre bien la question posée.
Lorsqu'on cherche dans une concordance les versets contenant "les uns les autres", on retrouve ce passage d’Éphésiens qu'on a alors tendance à sortir de son contexte. Le verset 21 du chapitre 5 est le début de ce que les exégètes appellent le "code domestique" qui s'étend de 5,21 à 6,9. Il est toujours intéressant de savoir ce qui encadre le passage qui nous préoccupe : il est précédé par une série d'exhortations morales diverses (4,25 à 5,20) qui concerne la vie dans la communauté (cf 5,1-2). Cette série d'exhortation est introduite par un développement sur la vie du chrétien en contexte païen (4,17 à 4,25). Le code domestique est dans la continuité de ces exhortations, mais concerne la famille et la famille seulement. La rupture avec ce qui précède est marquée par la formule du début du v21 : "Vous qui craignez le Christ". Elle est analogue à la formule au v1 "puisque vous êtes des enfants qu’il aime". Le texte fait comme un zoom qui se focalise sur un groupe de plus en plus petit : vivre parmi les païens, vivre entre chrétiens, vivre en famille. Donc dire que le contexte du v21 commence au v1 n'est pas juste du point de vue littéraire.
Éphésiens est une lettre circulaire. C'est à dire qu'elle était destinée à plusieurs églises et pas seulement aux éphésiens (1). Il ne s'agit pas d'une lettre répondant à un besoin criant ou apportant une solution à un problème localisé. Son propos est donc relativement général, et le contexte d'écriture de la lettre impose moins de contrainte à l'interprétation que dans d'autres lettres du Nouveau Testament.
Reprenant des thèmes pauliniens (2) l'auteur introduit dans un contexte plus général les mêmes exhortations pratiques "domestiques" qu'en Colossiens 3,18 à 4,1 qui sont ici plus détaillées. Notamment l'auteur d’Éphésiens ajoute en début de développement le principe général qui est Ephésiens 5,21 que nous étudions.
Les versets 5,22 à 6,9 qui parlent des relations du "pater familias" (père de famille) avec sa femme, ses enfants et ses esclaves, sont un développement du principe général qui énonce comment vivre en famille quand on est chrétien (les esclaves font partie de la famille). Nous ne développerons pas ici ce qu'il faut retenir de nos jours de la soumission de la femme à son mari ou du fait d'avoir des esclaves à la maison, mais il faut malgré tout remarquer que nous avons en Éphésiens une magnifique analogie entre la relation du Christ avec l’Église et la relation d'un homme avec sa femme. C'est un principe théologique important et surtout universalisant (c'est à dire toujours vrai en tout temps et en tout lieu), faisant du mariage chrétien une relation vraiment spéciale et donnant en quelques versets des principes sur l'amour conjugal d'une valeur inestimable.
Après cette très brève réflexion, nous pouvons donc au moins affirmer ceci : Ephésiens 5,21 ne concerne, du point de vue de l'auteur, que la famille, et pas explicitement les relations entre chrétiens dans la communauté, bien qu'il soit tentant de l'appliquer à la "famille spirituelle" comme un principe régulateur et facteur d'ordre. Mais aller dans ce sens, c'est forcer la signification première de ce verset. Si l'on peut raisonnablement comprendre qu'il est bon pour l'ordre dans l'église (ou dans toute organisation) de se soumettre (mais avec sagesse - 3) les uns aux autres, on ne peut pas utiliser ce verset là en particulier, pour le justifier. Tous les exemples utilisés dans la questions ne relèvent donc pas de ce verset. Seuls ceux qui relèvent de la famille sont concernés.
Il faudrait cependant dans un deuxième temps à partir de ce verset parcourir la Bible à la recherche d'autres passages pour élargir notre réflexion sur le concept de « soumission ». Nous le ferons dans d'autres articles ou nous nous demanderons si tous les types de soumission décrits dans la question sont réellement bibliques.
Notes :
1 Le titre « aux éphésiens » et la mention « à Ephèse » (1,1) ont été ajoutées postérieurement. En effet les manuscrits le plus anciens ne contiennent pas ces mentions.
2 La lettre est soit de Paul soit d'un disciple de Paul voir d'un disciple d'un disciple de Paul, mais cela a peu d'importance pour le verset en question. Pour ne froisser ni les libéraux ni les conservateurs, je parlerai de l'auteur d’Éphésiens et non de Paul.
3 Il conviendrait sur ce point de considérer comment Jésus s'est soumis (ou non !) aux autorités.
Très pertinent, car si l’on se contente de la version Segond, sans regarder d’autres versions, on ne comprend pas que ce v.21 est le début d’un nouveau sujet et on attribue cela à un cadre général, or qu’il n’est qu’une introduction à la notion de soumission dans le couple et cela dans un cadre familial. La soumission est un sujet vaste, il est vrai qu’il demande une étude approfondie d’autres passages, mais cela mérite d’aller plus loin pour éviter une culture d’église où le paternalisme et l’infantilisation fragilisent tout édifice spirituel, bloquent croissance et maturité et mènent à une belle mort non annoncée.
Bonjour Eric, je suis tombé sur cette question et ta réponse quelques années après toi, et je ne sais pas si tu auras mes commentaires. Je ne fais pas partie de l’ACLyon, mais puisque ces questions / réponses sont ouvertes au public, je me permets d’y ajouter ma contribution. Tout d’abord un grand bravo pour les explications et la qualité des questions / réponses. Elles démontrent une belle volonté de travail du texte. Vive les Béréens d’aujourd’hui !
Voici ma contribution :
1) Le v21 ne peut se traduire par “vous qui craignez Christ”. Si certaines version bibliques le traduisent ainsi, elles font une interprétation particulière. Il n’y a pas de rupture littéraire due à cette simple locution. L’auteur suggère seulement que la soumission doit être liée à au principe spirituel de notre crainte du Christ. La traduction littérale est ‘soumettant les uns aux autres dans la crainte du Christ’. La rupture ou le zoom se fait car l’on considère que l’auteur décline le concept de soumission au v21 à partir de 5,22.Dans chaque cas (enfant, esclave, maître, mari, femme) on reprend cette thématique. Et comme cela comprend le code domestique, alors, on estime que l’on parle de la soumission dans le cadre familial. La réponse reste à donner pour savoir si cela doit être élargi ou non.
2) Donc, selon ce passage, chacun doit se soumettre les uns aux autres. Le mari à la femme, la femme au mari, le maître à l’esclave, l’esclave au maître… Chacun le fait différemment puisqu’ils ont un rôle dans la maison qui soit différent. Si le mari ne respecte pas sa femme comme sa propre chair, mais qu’il est abusif, il ne se soumet pas à sa femme par exemple. Et la femme peut l’exiger, quoi qu’exiger d’un mari abusif quelque chose peut se révéler délicat.
3) La femme est-elle inférieure à son mari ? Le commandement donné à l’homme pour respecter sa femme n’est pas similaire à celui donné à la femme. Pareillement pour le maître et l’esclave. Le NT n’appelle pas à révolutionner la société existante frontalement. Les femmes mariées étaient les biens de leur mari, à cette époque. De même, on avait des esclaves. Par contre le NT appelle les chrétiens à renouveler les relations au sein de l’église. S’il n’y a pas de révolution sociétale (pour ne pas provoquer de guerre, de meurtre ou de désordre grave), il y a cependant une exigence éthique pour montrer que la conformité à l’ordre de la société juive ou greco romaine n’a plus lieu d’être. En Christ, il n’y a ni homme ni femme, ni esclave ni maître précise l’auteur ailleurs. Donc cette soumission, qui est au sein de l’organisation domestique
a) n’est pas une soumission qui rend légitime l’organisation de la société. Le statut de la femme ni celui de l’esclave n’est pas rendu vrai et juste parce que l’on demande de se soumettre. Puisque par ailleurs, on crée un ordre nouveau en tant que chrétien.
b) la compréhension de la soumission ne doit pas être celle de la société de l’époque. La soumission en Christ veut être plus juste, plus selon Dieu. Et dans une autre société, (par exemple celle d’aujourd’hui) il faudrait repenser ces relations de soumission pour qu’elles soient également plus justes, selon le Christ, sans forcément créer de désordre, parce que tout comme auparavant, le christianisme n’a pas vocation à générer des révolutions sociétales frontales. Donc, si la femme a plus de liberté, et que le couple n’est pas régi par les mêmes règles, il faut concevoir une soumission propre à cet état sociétal.
4) D’autre part, que veut dire se soumettre ? La question première qui a été posée sur ce forum sous entend que l’on comprend par soumettre l’obéissance. Si chacun obéit à chacun, ça devient cacophonique, c’est le désordre ! C’est donc que l’on ne parle pas d’obéissance. On ne demande pas à la femme d’obéir à son mari, la soumission veut dire considérer l’autre comme plus important que soi-même, par esprit d’amour pour l’autre (comme y répond la question 9 de ce forum), C’est le contraire de l’égoïsme. Comme l’a fait Jésus en Philippiens 2. Christ s’est soumis aux hommes. Cela ne veut pas dire qu’il leur a obéit. Mais il a écouté leurs besoins et les a traités, il a servi les hommes, écoutant plus leur besoin que son confort ou sa position divine. C’est cela que l’auteur décrit pour chacun. La soumission impose pour chaque rôle un comportement particulier dans leur époque: se mettre au service de la famille, pour le mari, à quoi cela correspond-il? , pour la femme, pour l’esclave, pour le maître… ?l’auteur n’indique donc pas que se soumettre, c’est obéir… cf une prédication qui a l’air un peu loufoque, sur laquelle je suis tombé par hasard; mais au final, très juste : http://eelcannes.org/sermons/soumettez-vous-les-uns-aux-autres/ .