Dieu n'est-il pas sensé être miséricordieux1 ? Certes on pourrait dire qu'Ananias et Saphira méritent ce qui leur arrive, mais ne mériterions-nous pas tous, le même sort ? Y-a-t-il des péchés plus graves que d'autres ? Pourquoi cela n'arrive-t-il qu'à eux ?
Toutes ces questions viennent nécessairement à l'esprit quand on lit le début d'Actes 5.
Au 2ème siècle, Marcion du Pont (né en 85) enseignait que le monde physique a été créé par un Dieu mauvais, dur, sévère, implacable. Pour lui, ce Dieu est celui dont parle l'Ancien Testament (et c'est le Dieu des Juifs). Il l'opposait au Dieu du Nouveau Testament, qui s'exprime par Jésus (c'est le Dieu des chrétiens), plein d'amour et de douceur, plein de miséricorde et de grâce. Pour Marcion, l'amour de Jésus est tel, qu'il vient sauver les hommes (qu'il n'a pas créés), dont les esprits sont enfermés dans des corps mauvais et asservis par le Dieu mauvais.
Cette doctrine sera reprise et développée par la suite par divers théologiens et notamment les gnostiques, puis les cathares (11ème siècle), et même en partie chez Luther et Calvin (dont la conception de la Bible tourne autour de l'épître aux romains).
N'avons nous jamais eu envie de penser comme Marcion2 en lisant l'Ancien Testament ? Ou en lisant l'épisode d'Ananias et Saphira ? Comment comprendre3 que la bible soit Parole de Dieu quand le prophète Nahoum écrit : « Le SEIGNEUR est un Dieu à la passion jalouse, il se venge ; le SEIGNEUR se venge, il est plein de fureur ; le SEIGNEUR se venge de ses adversaires, il garde sa rigueur envers ses ennemis » (1,2 – TOB) tandis que le psalmiste chante « Le SEIGNEUR est miséricordieux et bienveillant, lent à la colère et plein de fidélité » (Psaume 103,8 – TOB).
Il est normal d'être troublé lorsque après avoir lu les récits de guerres, de populations annihilées, de lois sévères, de sacrifices on entend Jacques nous assurer qu'en Dieu il n'y a ni changement, ni ombre de variation (Jacques 1,17) puis l'épître aux Hébreux dire que Jésus-Christ est le même hier, aujourd'hui et pour l'éternité (Hébreux 13,8).
Pourtant la vision de Marcion ne se justifie pas, car elle est partielle. Il y a dans l'Ancien Testament aussi la description d'un Dieu de grâce4. Et ce dernier déteste le péché aussi dans le Nouveau Testament. Le problème de Marcion, mais aussi de beaucoup de théologiens des temps passés (et malheureusement d'aujourd'hui aussi) c'est que la Bible est souvent considérée comme « venant » de Dieu alors qu'elle est en réalité seulement « inspirée de Dieu » c'est à dire qu'elle révèle son Esprit, c'est à dire sa personnalité, « qui il est » en somme. La Bible ne révèle Dieu que dans une révélation progressive : Dieu est perçu comme (mais n'est pas) un dieu de vengeance. Ce n'est que progressivement dans l'historiographie que dessine la Bible que Dieu apparaît tel qu'il est en Jésus-Christ. Tout dans la Bible n'a pas la même valeur (même si tout dans la Bible est utile pour comprendre la valeur du reste). Pour le dire autrement : la Bible est un « tâtonnement » vis-à-vis de la vérité (1Pierre 1,10) et non une affirmation de la la vérité. La vérité n'est pleinement affirmée qu'en Jésus-christ et en lui seul : Jean 14,6 s'applique aussi aux prophètes et aux apôtres !
Quand on considère la Bible comme parole de Dieu de manière littérale, on s'enfonce dans des contradictions qui poussent à élaborer des justifications toujours plus abracadabrantes pour rester cohérentes. Il faut comprendre la nature de la révélation : partielle, progressive et mystérieuse... jusqu'à Jésus-Christ qui est la véritable révélation du Dieu qui ne peut être connu que parce qu'il se laisse connaître selon une méthode déroutante : l'incarnation.
(2) Marcion fut considéré comme un hérétique, mais il a su apporter une ébauche de canon des Écritures, et nous lui devons certainement en partie la conservation du corpus paulinien.
(3) Pour aller plus loin voir l'étude sur ce site concernant la colère de Dieu.
(4) Exemples :
Deutéronome 5,29 Oh! S’ils avaient toujours ce même cœur pour me craindre et pour observer tous mes commandements, afin qu'ils soient heureux à jamais, eux et leurs fils !
Ézéchiel 18,32 Car je ne désire pas la mort de celui qui meurt, --oracle du Seigneur, l'Éternel. Convertissez-vous donc et vivez.
Genèse 18,26 L'Éternel dit: Si je trouve dans Sodome cinquante justes au milieu de la ville, je pardonnerai à toute cette localité, à cause d'eux.
Joël 2,13 Déchirez vos cœurs et non vos vêtements, Et revenez à l'Éternel, votre Dieu; Car il fait grâce, Il est compatissant, Lent à la colère Et riche en bienveillance, Et il regrette le malheur qu'il envoie.
1Rois 19,12 Après le tremblement de terre, un feu: L'Éternel n'était pas dans le feu. Enfin, après le feu, un son doux et subtil.
Jérémie 31,3 De loin l'Éternel se montre à moi: Je t'aime d'un amour éternel; C'est pourquoi je te conserve ma bienveillance.
Etc...