Nature et création

La nature n’a ni sentiment ni intention !

D’un point de vue physique la nature est un système de forces tectoniques, de réactions chimiques et de cycles de l’eau qui réagissent en chaine sans aucune conscience. La vie elle-même fonctionne d’une manière qui d’un point de vue humain est implacable : la sélection naturelle qu’on pourrait aussi appeler la loi du plus fort.
Cette nature n’est ni cruelle ni méchante. Il n’y a rien d’injuste quand une gazelle se fait manger par un lion ou quand une abeille se fait couper la tête par un frelon. Il n’y a rien d’injuste1 non plus quand des catastrophes naturelles tuent des milliers de personnes innocentes (tremblements de terre, tsunamis, éruptions volcaniques… etc. etc.) J’écris ces lignes seulement quelques jours après un énorme tremblement de terre au Maroc et une inondation majeure en Libye. A cause de ces deux seuls évènements environ 15.000 personnes ont perdu la vie. Cela me rend très triste, et tous ceux qui ont perdu des proches sont bien plus immensément tristes. Mais la nature, elle, n’est pas triste. Elle est indifférente.

Pourquoi est-ce que j’écris cela ? Pour éviter deux écueils : le premier consisterait en l’idéalisation de la nature qui serait notre « mère » et qui serait « nourricière » ; le deuxième au contraire serait la diabolisation de la nature qui parce qu’elle est « hostile » devrait être « dominée ». Ni l’une ni l’autre de ces deux attitudes n’est sage ni équilibrée.

Selon la Genèse, la nature est tohu et vohu ou chaos et vide. Livrée à elle-même la nature est inhospitalière. Et il faut la présence du souffle de Dieu, ou de son Esprit, pour transformer la ténèbre en lumière grâce à sa Parole. Quand Dieu dit, il parle. Et sa parole est performative, c'est-à-dire qu’elle réalise l’action par le fait même de son énonciation. Cette action c’est la mise en ordre. Or Dieu crée, c'est-à-dire met en ordre, « en séparant » :
- séparation des ténèbres et la lumière (v3 et v18)
- séparation des eaux (terrestres) des eaux (nuage et pluie) par une voute que Dieu appelle « ciels »
- séparation des eaux du dessous de la terre
- séparation des espèces végétales
- séparation des jours, des années et des fêtes par les luminaires
- séparation des espèces marines et des oiseaux selon leurs espèces
- séparation des animaux terrestres selon leurs espèces
- séparation des humains en mâle et femelle.
Dieu met de l’ordre dans la nature qui à partir de ce moment là, et seulement à partir de ce moment là, devient sa création qu’il peut juger bonne et même très bonne (v31). Ce n’est pas la nature qui est bonne mais bien la création, c’est à dire l’introduction d’un ordre dans la nature par Dieu. Et l’humain est placé par Dieu dans cet ordre pour l’entretenir, c’est à dire pour entretenir la création. C’est le sens des verbes « soumettre »2 et « dominer »3 du v28. Car c’est parce que nous sommes à l’image de Dieu, à sa ressemblance, que nous sommes appelés à dominer. L’appel consiste donc à dominer d’une domination à l’image de celle de Dieu.

Dans les années 1960 l’historien américain Lynn Townsend White Jr. (1907-1987) développa la thèse selon laquelle parmi « les racines historiques de notre crise écologique »4 le christianisme et en particulier le protestantisme5 tient une bonne place. En comprenant (de travers) la domination de la nature dans un sens matériel et technique le christianisme aurait manqué la cible car ce n’est pas comme cela que Dieu domine.
Alors la question maintenant c’est « comment Dieu domine-t-il ? ». Aux frères Jacques et Jean et à leur mère qui veulent une place de choix dans le Royaume de Jésus, celui-ci leur donne une réponse qui éclaire notre réflexion :

42Vous savez que ceux qui paraissent gouverner les nations dominent sur elles en seigneurs, et que les grands leur font sentir leur autorité.
43Il n’en est pas de même parmi vous. Au contraire,
quiconque veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur ;
44et quiconque veut être le premier parmi vous sera l’esclave de tous.
45Car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi,
mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude6.

Celui qui veut dominer à l’image de Dieu ne peut le faire qu’en étant un serviteur.
Ce principe va à l’encontre de ce qu’on pense spontanément de la domination. Et le Fils de l’homme dont il est question est Jésus lui-même qui en tant que représentant de Dieu ne cherche pas à obtenir des humains ce qu’un dieu (tel que les humains se le représentent) pourrait être en droit d’attendre d’eux. Au contraire il vient servir les humains et donner sa vie pour eux… Du point de vue de l’opinion commune cela est absurde. Le Dieu de la Bible n’est décidément pas ce dieu tout puissant, omnipotent et omniscient que les grecs ont imposés à la pensée occidentale et que les chrétiens ont repris ensuite, à leur avantage.

En effet le message évangélique est celui de l’abaissement7 volontaire du Dieu tout-puissant.

Ainsi quand l’humain est appelé à dominer comme Dieu sur la création, il n’est pas appelé à exploiter mais à gérer les ressources que Dieu lui donne et ce, non pas pour lui-même mais pour préserver l’œuvre de Dieu tout en en faisant partie. La sagesse voudrait que l’humain administre et fasse perdurer cet ordre que Dieu à mis en place en transformant la nature en création. En déréglant le climat et en polluant à tout va, l'humain fait le contraire de ce que Dieu attend de lui... il désobéit. Nous désobéissons.

La sélection naturelle, lorsqu’elle est érigée en civilisation8 conduit à un ordre qui n’est pas celui de la création de Dieu : elle conduit à ce que les grands de ce monde dominent sur les nations en seigneurs et leur font sentir leur autorité. Et dans toute organisation humaine (à commencer par la plus petite d’entre elle : le couple9) il y a cette tentation du naturel. Dominer en faisant sentir son autorité est naturel mais pas créationnel. C’est d’ailleurs la signification du quatrième commandement10 :

8Souviens-toi du sabbat, pour en faire un jour sacré.
9Pendant six jours tu travailleras, et tu feras tout ton ouvrage.
10Mais le septième jour, c’est un sabbat pour le SEIGNEUR, ton Dieu :
tu ne feras aucun travail,
ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni tes bêtes, ni les immigrés qui sont dans tes villes.

Même les bêtes sont appelées à ne pas travailler. Dans la sélection naturelle seuls les plus forts s’en sortent. Ils peuvent travailler plus et donc posséder plus au point où ils peuvent accaparer les richesses. C’est pourquoi dans la loi était prévue une redistribution l’année du Jubilé11 tout les cinquante ans qui était aussi une année de repos pour la terre. Dans le Royaume de Dieu le repos est sacré, même pour la création.
Dans la création (c'est-à-dire dans la nature organisée par Dieu), la sélection naturelle n’est plus la loi qui prévaut. Il y a quelque chose d’autre, quelque chose qui dépasse la nature et ses lois. Il y a quelque chose qui produit ce « bon » et ce « très bon » dont parle Dieu en Genèse 1. Ce quelque chose de plus que la nature ne connaît pas mais dont la création est remplie, c’est l’amour : Dieu les bénit. Le verbe בָּרַךְ — baraq à la forme du v28 veut dire « combler de bénédictions, de bienfaits ; prononcer des formules de bénédictions, dire du bien. » L’amour est ce qui transforme la nature en création. C’est parce que « Dieu est amour »12 qu’il a transformé la nature en création. C’est parce que « Dieu est amour » que nous pouvons avoir la foi et espérer13.
Il n’y a pas d’amour dans la nature. C’est pourquoi la nature n’a rien de divin ni rien de sacré en elle. Sacraliser la nature, c'est-à-dire en faire un objet d’idolâtrie est une double erreur à la fois théologique et écologique. Nous en reparlerons.
En tout cas les humains sont à l’image de Dieu, à sa ressemblance lorsqu’ils imitent l’amour de Dieu. Ce n’est qu’en étant à l’image de Dieu, c'est-à-dire en imitant l’amour de Dieu qu’ils participent à conserver la création de Dieu. C’est pourquoi Paul explique que la création de Dieu est destinée à suivre les humains dans leur salut14. Pour que cela soit possible, les humains doivent aimer non seulement leurs semblables mais aussi la création. Car s’ils ne l’aiment pas… ils ne seront pas sauvés du tout !
La boucle est bouclée : les humains ne peuvent être sauvés sans la création qui ne peut être sauvée sans les humains, et ainsi l’interdépendance entre humains et création n’est pas seulement de l’ordre matériel et biologique, mais aussi et surtout spirituel.


Notes

1- Il peut cependant y avoir injustice quand un tremblement de terre survient à un endroit ou ne se sont établis que des populations défavorisées parce qu’elles n’avaient pas le choix que de s’installer sur des terres à risques sismiques élevés parce que les populations plus aisées occupent le reste de l’espace, plus sécuritaire. Mais cette injustice n’est pas le fait de la nature mais de l’humain.

2- כָּבַשׁ — Qavash

3- רָדָה — Radah

4- C’est le titre d’une conférence prononcée le 26 décembre 1966 à Washington devant l'assemblée annuelle de l'American Association for the Advancement of Science (AAAS). Parler de crise écologique à la société de cette époque est quasiment inaudible.

5- C’était en tout cas le point de vue de Max Weber l'un des fondateurs de la sociologie qui postulait que le protestantisme en prônant le libéralisme et le prêt à intérêt a fait naître le capitalisme (Cf. Max WEBER, L’Éthique protestante et l'Esprit du capitalisme, 1905).

6- Marc 10,42–45

7- Philippiens 2,5-8

8- C’était l’ambition du nazisme que de créer en poussant le principe à l’extrême, une société basée sur l’utilité de ses membres et la sélection par l’élimination de ce qui pour eux « ne sert à rien »  comme entre autres les personnes en position de handicap, les personnes âgées, les juifs, les personnes non productives comme les gens du voyage qui ne participaient pas assez à la production du pays ou les homosexuels stériles par nature.

9- Cf. Genèse 3,16b

10- Exode 20,8-10

11- L’un des buts du Jubilé était de faire prendre conscience aux propriétaires qu'ils ne possédaient pas la terre qui appartient à Dieu. Ils possédaient un certain nombre d'années de récoltes jusqu’au prochain Jubilé (Lévitique 25,16).

12- 1Jean 4,8.16

13- 1Corinthiens 13,13

14- Romains 8,21

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