Paul arriva à Corinthe après son séjour à Athènes, et il resta dans cette ville pendant un an et demi (Actes 18,1.11). Pendant cette période, il enseigna la foi en Christ (1Corinthiens 1,6) qu'il confirma par des dons miraculeux1 et il leur transmis la grâce et ses dons (1Corinthiens 1,4-5.7). Cependant, en 1Corinthiens, Paul cherche à corriger un certain nombre de pratiques déviantes. Bien que chrétiens, et bien qu'ayant bénéficié de la présence de l'apôtre pendant 18 mois, les Corinthiens en sont encore aux balbutiements dans la foi et l'amour (1Corinthiens 3,1-2). En 1Corinthiens 12 à 14, Paul va tenter d'expliquer à ces chrétiens, pourtant spirituellement bien équipés (1Corinthiens 1,7), qu'ils ne savent pas utiliser les dons de la grâce correctement.
Lisons 1Corinthiens 12 à 14 et analysons l'objet de ces chapitres :
1Corinthiens 12,1-3
Pour Paul, les Corinthiens sont ignorants. Et il souhaite qu'ils ne le soient plus. En effet ces chrétiens n'ont pas complètement abandonné les pratiques païennes antérieures à leur conversion. Il craint que, comme dans les religions à mystères grecques, les Corinthiens ne confondent ressentir la divinité et obéir à la divinité. C'est pourquoi il écrit le verset 3 dans lequel il exprime que si l'on parle par l'Esprit on ne peut dire des choses contraire à l'enseignement des apôtres mais au contraire, le message de celui qui parle par l'Esprit doit conduire à l'obéissance à Jésus. En effet ce n'est que si et seulement si on s'efforce d’obéir à Jésus qu'on peut l'appeler « Seigneur ».
1Corinthiens 12,4-11
Si Paul écrit ces choses dans sa correspondance avec les Corinthiens c'est qu'il juge que ces derniers n'ont pas compris que l'Esprit distribue des dons (grec charisma) différents à chaque individu pour servir à la communauté toute entière, et non pour être utilisés de manière égoïste (pour un profit individuel) ou narcissique (pour se faire voir comme spirituel). L'unité dans leur Église est menacée car ils pensent que certains dons (reçus probablement par imposition des mains de Paul pendant son séjour parmi eux) sont plus valorisants que d'autres. Il est vrai que certains dons sont plus utiles que d'autres (voir 1Corinthiens 12,28-31 et 14,1-5) mais les Corinthiens se laissaient tromper en pensant que les plus spectaculaires étaient les plus importants.
1Corinthiens 12,12-27
Si les dons de « chacun » (cf verset 7) proviennent du même Esprit, ce n'est certainement pas pour diviser l'Église (or c'est ce qui se passe à Corinthe !) mais pour la rendre plus forte, plus vivante, plus brillante dans ce monde. Comme chaque organe d'un corps dépend des autres, chaque chrétien dépend des autres, et dois faire sa part, équipé par l'Esprit dont il s'abreuve (v.13).
1Corinthiens 12,28-31
Paul remet les choses dans l'ordre : le don d'enseigner est peut-être moins spectaculaire, mais certainement plus nourrissant pour le corps que les miracles que les Corinthiens savaient faire. Et dans la liste, le fait de parler « diverses langues »2 est le dernier des dons !
Évidemment les questions que Paul pose dans ce passage sont des questions rhétoriques dont le lecteur connaît la réponse : « Non ! ». Et même pour le don d'apostolat, de prédication ou d'enseignement, il existe une voie meilleure que Paul va décrire en 1Corinthiens 13.
1Corinthiens 13 (en très rapide !)
Puisque ce qui nous intéresse est de comprendre la volonté de Dieu quand il donne des dons spirituels et notamment le don des langues, nous n'entrerons pas dans le débat des savants cherchant à comprendre ce qu'est le « parfait » du verset 10.
Au début du chapitre, Paul utilise deux hyperboles qui mettent en contraste des choses extra-ordinaires (des choses impossibles, des choses qui n'existent pas !) avec l'amour (qui existe et qui est possible !). Ces choses qui n'existent pas sont :
- parler toutes les langues humaines
- parler les langues des anges
- avoir à la fois : le don de prophétie et le don de tout comprendre et de tout connaître sur tout
- la foi qui transporte les montagnes3
Parler les langues des anges n'est donc pas du tout quelque chose que Paul envisage. Le point principal de Paul au chapitre 13, c'est que si nous avons des dons, il doivent être au service de l'amour, notamment dans l'Église, et non à notre service personnel.
Abordons maintenant 1Corinthiens 14 qui a fait couler tant d'encre :
D'abord Paul expose l'importance d'être compris quand on parle dans l'Église. Que ce soit en parlant en langue, en prophétisant ou en enseignant, il faut être compris par les frères et sœurs, et compris par les auditeurs qui rendent visite à l'Église. Pour cela, ceux qui parlent dans des langues étrangères4 doivent parler avec ordre et en étant traduits. Sans être catégorique sur l'inutilité de la pratique des langues (voir les versets 5 ou 39), Paul explique pourtant que celle-ci doit être régulée (verset 18-19), interprétée (verset 13), limitée (versets 22-24), ordonnée (versets 26-29, 33, 40), et subordonnée à la prophétie et à l'enseignement (v.6). C'est dire si elle aurait du être... rarement utilisée, contrairement à l'usage dans l'Église de Corinthe.
Le mystère du don des langues n'est plus un mystère. Les langues ne sont pas un langage venu des anges, mais bien des langages parlés, et le don des langues fait à certaines personnes (comme à Paul lui-même qui parlait au moins 3 langues (grec, araméen, hébreu, et peut-être latin) devait servir (comme les autres dons) à construire l'Église, et non à se faire mousser devant les autres, ou à se satisfaire soi même. Ce don ne devait donc être utilisé que lorsque les circonstances l'exigeaient, de manière appropriée et contrôlée, et certainement assez rarement.
Parler par l'Esprit n'a rien à voir avec la transe ou l'extase. Parler par l'Esprit ne doit pas empêcher l'intelligence du croyant de s'exprimer, bien au contraire :
« Car si je prie en langue, mon esprit est en prière, mais mon intelligence demeure stérile. Que faire alors ?
Je prierai par l'Esprit, mais je prierai aussi de façon intelligible ;
je chanterai par l'Esprit, mais je chanterai aussi de façon intelligible »
(1Corinthiens 14,14-15 - NBS)
L'Esprit-Saint n'est pas un esprit ésotérique.
Questions pour méditer :
- Depuis quand suis-je chrétien ? Que pensent mes frères et sœurs de ma maturité spirituelle ?
- Quelles sont les choses de ma vie antérieure que je n'ai pas encore abandonnées ?
- Qu'est-ce qui m’impressionne le plus de la part des autres ? les grands discours et les spotlights ou la spiritualité du quotidien ?
- Quels sont mes dons, mes talents ? Comment puis-je les mettre au service des autres ? En ai-je envie ? Ou suis-je trop timide pour me proposer ?
- Les manifestations de l'Esprit dans mon Église sont elles plus de l'ordre du spectaculaire ou plus de l'ordre de l'obéissance et de l'amour ?
Notes
1 Voir les deux articles précédents.
2 Les bibles du Semeur, Parole de Vie ou Parole Vivante traduisent l'adjectif grec genos par « inconnues » là où les bibles les plus littérales utilisent « diverses ». Ce mot veut littéralement dire « né dans un pays » ou « issu d'une famille ». Inconnu est donc un contresens.
3 Cela soulagera peut-être ceux qui se flagellent en pensant que leur foi est trop petite puisqu'ils n'arrivent pas à transporter des montagnes comme Jésus semble dire qu'on devrait être capable de le faire (Matthieu 17,20 et 21,21). Mais Jésus aussi utilise une hyperbole ! De toute façon, le don de transporter des montagne ne serait pas vraiment utile. Et pour continuer dans la plaisanterie absurde, il serait même peut-être dangereux !
4 Il ne s'agit pas de parler des langues inconnues, ou la « langue des anges », mais bel et bien des langues existantes, mais étrangères (c'est-à-dire pour les Corinthiens, des langues qui ne sont pas le grec). Cela est implicite et indiscutable grâce au verset 21 notamment et à Actes 2,6-11. D'ailleurs, les langues étrangères sont pour les Israëlites un signe de jugement. Comme l'est la prophétie initiale de Joël 3 ou d'autres passages comme Esaïe 28,9-13 ; Deutéronome 28,49 ; Jérémie 5,15...