La Bible se suffit-elle à elle-même ?

Voici la reproduction d'un échange riche entre deux personnes qui ne sont ni des théologiens professionnels ni des des ecclésiastiques. Il nous a semblé opportun de le reproduire ici.


Bonjour,
je lis un livre sur le sermon sur la montagne: "Early Christian Commentary on the Sermon on the Mount" par Elliot Nesch. En effet depuis un an environ, je lis régulièrement les Pères de l'Eglise qui ont écrit avant le Concile de Nicée. C'est vraiment génial à lire ! On apprend beaucoup de ce que les premiers chrétiens croyaient et mettaient en pratique. Je les lis pour ma culture personnelle, pour information et aussi parce que je suis convaincu que lire la Bible ne suffit pas.

Personnellement je suis d’accord avec cela : la Bible ne suffit pas. Mais elle doit rester la référence à laquelle se rattache toute théologie chrétienne. Ce qui élimine déjà un certain nombre de courants, même parmi ceux des écrivains anté-nicéens (avant le concile de Nicée en 325) comme certains écrits de Tertulien par exemple qui est devenu montaniste et qui pensait que l’église pouvait recevoir des révélations directement de Dieu à travers des prophètes, en dehors de la Bible.

En effet, catholiques, luthériens, calvinistes, évangéliques et nous aussi, nous nous faisons référence à la Bible mais les pratiques sont si différentes ! Qui a raison ? Par exemple, certains pensent que Matt. 5:22 condamne le meurtre mais autorise de tuer légalement son prochain en appliquant la peine de mort ou de pratiquer la guerre. Certains pensent que Jésus condamne de tuer tout court , ce qui inclut les guerres et la peine de mort, et même de se mettre en colère contre son prochain. Qui a raison ? Les premiers chrétiens apportent un éclairage intéressant.

Dans son livre, Elliot Nesch écrit :

"En un temps où il y a littéralement des milliers de dénominations "chrétiennes", les premiers chrétiens nous apprennent ce que l'Eglise historique et universelle croyaient et pratiquaient. Les protestants croient en la doctrine de Sola Scriptura, la croyance que l'Ecriture est l'autorité pour la foi et la pratique du Christianisme. Pourtant l'existence des Adventistes, Anglicans, Baptistes, Calvinistes, Lutheriens, Méthodistes, Pentecotistes et autres dénominatons (église du Christ ?) démontre combien subjective, individualiste et par essence source de divisions, la doctrine Sola Sciptura peut être. [....] De manière ironique, chaque protestant peut devenir sa propre autorité interprétative et ressembler à l'infaillibilité Papale du Catholicisme Romain."

Effectivement la Bible ne se suffit pas à elle-même pour établir une doctrine. De la doctrine « sola scriptura » découle une autre doctrine qui est également fausse « scriptura sui ipsius interpres » (l’écriture est à elle-même son propre interprète). Non la Bible ne se suffit pas à elle même pour connaître la doctrine chrétienne. En réalité pour qu’une doctrine puisse être valable il faut à mon sens lui faire passer trois tests :
- la cohérence avec l’écriture, ce qui est déjà un vaste sujet, puisque la première tâche sera de comprendre ce que dit l'écriture.
- la cohérence avec la théologie : elle doit être intellectuellement acceptable (par exemple une doctrine qui dirait que Dieu « veut » jeter des gens en enfer serait incohérente avec celle qui dit que Dieu est amour).
- la cohérence avec la réalité observable dans le monde (scientifiquement, expérimentalement, historiquement) : aucune doctrine ne devrait s'imposer qui s’appuie sur des choses qu’on ne peut pas corréler avec la réalité du monde ; par exemple la doctrine des anges (auxquels on peut croire mais dont on ne peut pas faire une doctrine orientant notre vie) ou une doctrine de la date de la fin du monde etc. etc. etc. (entre autres exemples, et des exemples il y en a beaucoup qui ont divisé les églises pour pas grand chose).
Avec ces trois garde-fous (Wesley y ajoutait la tradition, ce à quoi je ne souscrit pas) on a déjà de quoi éliminer pas mal de chose et dégager des principes fiables, édifiants et défiants.

N'est-ce pas vrai ? J'en ai fait l'expérience en discutant avec les membres de l'église évangélique de notre quartier. Certains m'ont dit "Ah le Sermon sur la Montagne !..." comme si ce que Jésus disait était un idéal qu'on ne pouvait atteindre. En un sens, ils ont raison mais cela veut-il dire que l'on peut s'assoir dessus et vivre comme si de rien n'était "par la foi sans les œuvres" ?

Le Sermon sur la Montagne (SSM) est un idéal que l’homme pécheur ne peut atteindre. Mais en tant que chrétiens nous ne sommes plus pécheurs. Je ne veux pas dire que nous ne péchons plus, mais que le Péché ne fait plus partie de notre identité devant Dieu. Car (mais c’est un autre sujet) il faut différencier le Péché et les péchés. Le premier est la racine des autres. Et il vaut mieux lutter contre la source que contre le fleuve. En tant que nouvelles créatures, nous avons gardé de vieilles habitudes, mais nous nous efforçons de ne plus être esclaves du Péché (Satan, le Diable, Béelzebul, le Dragon, le serpent ancien…. peu importe le nom) mais de Dieu.
Donc le SSM reste un idéal de disciple auquel il ne faut pas renoncer et qui peut nous servir à nous former à l’image de Jésus. Si l’on est d’accord qu’on arrivera jamais à être comme Jésus de même nous n’arriverons jamais à mettre parfaitement le SSM en pratique, ce que Dieu veut ce sont « tous nos efforts ».

J'aimerai partager avec vous une pépite écrite par Irénée de Lyon (Il sont géniaux ces Lyonnais !) :

"Et au lieu de la Loi qui commandait de donner les dîmes, Il (Jésus) nous a dit de partager toutes nos possessions avec les pauvres, et de ne pas aimer seulement nos voisins, mais aussi nos ennemis; et de ne pas nous limiter à donner avec libéralité, mais même à aller jusqu'à donner des dons gratuits à ceux qui nous dérobent nos possessions. "

Irénée fait référence à Matt. 5 et aussi probablement référence à Luc 11:41-42:

"Faites don de ce que vous avez à l'intérieur, et alors tout sera pur pour vous. Mais malheur à vous, pharisiens, parce que vous payez la dîme de la menthe, de la rue et de chaque plante et que vous négligez la justice et l'amour de Dieu."

Ma tendance naturelle en lisant Luc 11:41-42 est de me dire que faire l'aumône de manière mécanique, en donnant même scrupuleusement 10% de mes revenus n'est pas juste au yeux de Dieu, mais qu'il me suffit de donner un peu avec mon cœur et je serai approuvé de Dieu. Si donc je donne un euro de temps en temps en faisant attention au pauvre à qui je donne, c'est OK. Je peux quand même compter tous mes euros sur mon compte en banque ! Formidable !

Je suis un misérable. Mon cœur est très éloigné de Dieu. Ce dont il s'agit, ce n'est pas nécessairement de nous dépouiller, mais d'aller plus loin que la Loi des pharisiens. Irénée est clair: il ne s'agit pas de donner MOINS que la dîme mais PLUS ! J'en suis bien loin.... J'aimerai bien mettre en pratique ce que dit Irénée mais je ne suis pas encore. Je vais y travailler 😉

Je crois que pour sortir de ce genre de culpabilité il faut remettre ces versets dans leur contexte biblique. Le joug de Jésus est léger. Personnellement à la suite de la parabole du bon samaritain je pense que la question n’est pas combien je donne, mais plutôt est-ce que je réponds à des besoins auxquels Jésus voudrait que je réponde ? A ce moment là ma justice sera supérieure non pas quantitativement (>10%) mais qualitativement à celle des pharisiens et des sadducéens. Ainsi je ne me pose plus la question de la dîme (ce que d’ailleurs le Nouveau Testament ne mentionne jamais comme une règle) mais je me pose la question de répondre aux besoins de mes frères dans l'église, aux besoins de ma famille, aux besoins des gens autour de moi, aux besoins de l’église pour accomplir sa mission.
La générosité ne dois pas se mesurer à une règle (qu’elle vienne de l’Ancien Testament ou d’Irénée) mais elle doit se mesurer aux besoins autour de moi. Elle peut s’exprimer en donnant de l’argent mais aussi en donnant de l’énergie, du temps, des talents (bricolage, musique, connaissance…), c'est à dire en donnant de ma vie. Donner de l'argent peut être facile pour certains. Donner de sa vie ne l'est jamais.

Bonne journée
Christian

En tout cas Christian, merci de partager tes méditations et en même temps ton cœur. C’est super de pouvoir discuter de tout cela. Il faut que tu aies aussi l’image que Dieu a de toi : quelqu’un de formidable, une créature merveilleuse que même le péché, les erreurs ou les transgressions ne peuvent pas rendre moins merveilleuse parce que tu as voué ta vie à apprendre de Jésus.

Pierre-Louis

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