La foi ou les œuvres ?
La foi et les œuvres !
Le modèle primitif explique la nécessité d'une coopération entre Dieu et l'homme pour que l'homme puisse être sauvé. Dit autrement, il tend à rendre les « œuvres » (1) nécessaires à notre salut. Cette dernière phrase peut être une bombe dans les convictions de certains, mais expliquons ce que cela veut dire : les œuvres ne peuvent pas nous assurer le salut, aussi grandes et belles soient-elles (Romains 5,1 ; Galates 3,5 ; Éphésiens 2,8-9). Mais sans œuvre nous ne pouvons être sauvé. Cela va à l'encontre d'un certains nombre de conceptions très populaires (notamment dans certains milieux protestants) qui tendent à rendre la vie chrétienne plus confortable, telles que « le salut par la foi seulement » (2). Ces concepts sotériologiques (3) découlent directement de la théologie de la satisfaction et ont des conséquences importantes sur la vie et les pratiques dans l’Église.
Le modèle primitif minimiserait-il la puissance de Dieu ? En réalité non. Cette façon de lire la Bible permet au contraire de comprendre comment Dieu envisage sa relation avec l'humanité : comme un père aime passer du temps à faire des activités avec ses enfants, notre Père qui est dans le ciel, aime à nous faire participer à ses œuvres. Ce qui compte, ce ne sont pas les œuvres mais la relation. Mais sans cette participation, la relation est tronquée, et insuffisante. Un enfant qui préfère passer du temps avec sa console de jeux vidéo plus qu'avec son père, n'a pas une bonne relation avec son père. Il en va de même avec notre Dieu qui veut que nous passions du temps à l'écouter (étudier la bible) à lui parler (prier) et à faire des choses avec lui (vivre, aimer, édifier l'église...). Il a un tas de bonnes choses à nous faire faire, non pas comme de simples exécutants, mais en coopération avec lui (Matthieu 5,16 ; Ephésiens 2,10...).
Au final Dieu veut que nous participions à sa nature divine (2Pierre 1,4). Si cela ne peut se faire (redisons-le encore une fois) par les œuvres, cela ne peut se faire non plus sans bonnes œuvres.
Il y a des dictons célèbres dans les églises protestantes devenus quasiment des slogans comme par exemple : « les chrétiens ne sont pas parfaits, ils sont juste pardonnés ! » ; le message derrière cette formule c'est que les chrétiens pèchent comme les autres. La seule différence est qu'ils sont pardonnés. Une telle maxime découle précisément de la théologie de la satisfaction.
Un autre exemple qui s'appuie sur Romains 5 : « Nous sommes justes comme si nous n'avions jamais péché » (4). Sans autre précision cette sentence est ambigüe, car elle peut vouloir dire que Dieu ne voit plus nos péchés. Il s'aveugle lui-même. Auquel cas nous n'avons pas besoin ni de confesser nos péchés, ni de nous repentir.
Les premiers pères de l'Eglise qui lisaient la bible sans connaître Anselme de Cantorberry (fin du XIe siècle), comprenait pleinement comment s'articule la foi et les œuvres. Prenons un exemple : Clément de Rome dans sa lettre aux Corinthiens (note 5) chapitre 48 versets 1 à 4 : « Faisons donc disparaître ce mal au plus vite, et jetons-nous aux pieds du Maître et supplions-le avec larmes de se montrer favorable, de nous réconcilier [allusion à Matthieu 18,26-27], de rétablir chez nous la pratique pieuse et sainte de l'amour fraternel. Car l'amour est une porte de justice qui s'ouvre sur la vie, selon qu'il est écrit : "Ouvrez-moi les portes de justice, j'entrerai et je rendrai grâce au Seigneur. C'est ici la porte du Seigneur, c'est par elle que les justes entreront" [citation du Psaume 118,19-20]. Beaucoup de portes nous sont ouvertes : celle de la justice est celle du Christ. Bienheureux ceux qui entrent et dirigent leur marche dans la sainteté et la justice [allusion à Luc 1,75 et Matthieu 7,13-14] ».
C'est d'ailleurs l'enseignement de l'épître de Jacques (6) : Mais soyez les réalisateurs de la parole, et pas seulement des auditeurs qui s'abuseraient eux-mêmes (Jacques 1,22). Et un peu plus loin : A quoi bon, mes frères, dire qu'on a de la foi, si l'on n'a pas d'œuvres ? La foi peut-elle sauver, dans ce cas ? (…) la foi qui n'aurait pas d'œuvres est morte dans son isolement. Mais quelqu'un dira : « Tu as de la foi ; moi aussi, j'ai des œuvres ; prouve-moi ta foi sans les œuvres et moi, je tirerai de mes œuvres la preuve de ma foi. (...) Veux-tu te rendre compte, pauvre être, que la foi est inopérante sans les œuvres ? Abraham, notre père, n'est-ce pas aux œuvres qu'il dut sa justice, (…) Vous constatez que l'on doit sa justice aux œuvres et pas seulement à la foi. (…) de même que, sans souffle, le corps est mort, de même aussi, sans œuvres, la foi est morte (Jacques 2,14-26).
Et c'est encore l'enseignement de la première épître de Pierre (1,13-25) qui nous rappelle que nous serons jugés selon nos œuvres (v17). Non pas de manière rétributive, mais parce que les œuvres, issues de notre foi, nous auront fait progresser dans la sainteté, c'est à dire dans la proximité avec Dieu.
Questions pour méditer :
- pourquoi les œuvres ne peuvent pas m'assurer le salut ?
- pourquoi je ne peux pas dire que j'ai la foi si je ne fais rien ou pas grand chose pour Dieu ?
- Pour moi, faire des œuvres ça veut dire quoi ?
- Quel est le but des œuvres que Dieu a préparées pour moi ? (Ephésiens 2,10)
- Comment Clément de Rome appelle-t-il la porte du Christ ?
- Quel est mon slogan personnel ?
Notes
1) Encore faut-il expliquer ce que veut dire ce mot dans le vocabulaire religieux. En Galates, le binôme « pratique des œuvres/écoute de la foi » est parallèle au binôme « chair/Esprit » (Galates 3,1-6). Au final foi et œuvres sont une question de confiance :
- Si je place ma confiance en moi-même, c'est à dire dans ce que je suis capable de faire, dans mes performances, dans mes œuvres, alors je suis sous l'emprise de la chair. Je suis alors dans l'obligation de faire pour être avec Dieu. Je dois donc pratiquer la Loi. Et Dieu étant parfait, je dois pratiquer parfaitement.
- Si je place ma confiance en Dieu, c'est à dire dans ce que Dieu est capable de faire, dans les performances de Jésus mort et ressuscité, alors je suis sous l'emprise de l'Esprit. Mes oeuvres n'en sont pas moins utiles, mais elle n'ont pas pour but de me rapprocher de Dieu. Elles ont pour but de m'éloigner du péché, de me garder dans la foi. Car sans les œuvres ma foi va mourir (cf passage de Jacques dans le texte ci-dessus). Un slogan pourrait être « Je m'approche de Dieu par la foi, je m'éloigne du péché par les œuvres ». Un autre : « Le salut pour les œuvres et non par les œuvres ».
2) Ephésiens 2,8 dit que c'est par grâce que nous sommes sauvés, διὰ τῆς πίστεως = à travers la foi. Luther a rajouté « seulement » dans sa traduction. Mais le « seulement » n'existe pas dans le grec. Pourtant ce mot rajouté a eu un grand impact par la suite dans les interprétations théologiques ultérieures. De même en Galates 2,16 la TOB utilise le mot « seulement » qui n'est pas dans le grec, pour marquer l'opposition entre la foi et les œuvres, mais ce verset, isolé du contexte de la lettre aux Galates dont il ne faut pas oublier la caractère fortement polémique contre les judaïsants (et donc emphatique), prend un sens trompeur.
3) qui étudie le salut.
4) Gordon Ferguson, enseignant émérite des Eglises du Christ Internationales, utilise cette formule comme sous-titre de son enseignement sur Romains. Et il enseigne clairement le modèle d'Anselme, avec quelques nuances toutefois mais il se démarque de la doctrine évangélique en enseignant la double nécessité de la repentance et du baptême pour le Salut. Voir par exemple : Ferguson, Gordon, Justifié. Juste comme si je n'avais jamais péché, une étude de l'épître au Romains, Paris, Discipleship Publications International, 1995, p.19.
5) Cette lettre d'un évêque de Rome, certainement dirigeant principal de l'Eglise de Rome, a probablement été écrite entre 94 et 96 ap JC.
6) Luther l'avait qualifiée d' « épître de paille », et avait fait éditer sa Bible en mettant Jacques à la fin.