Vivre ce que Dieu veut

La repentance est un mot. C’est aussi un concept. Des livres entiers ont été écrits pour en expliquer les tenants et les aboutissants. Si nous voulions simplifier nous pourrions dire que c’est un processus spirituel intérieur qui se manifeste concrètement à l’extérieur.

Car Dieu n’a pas fait une âme et un corps qui puissent vivre séparément leurs vies comme ils l’entendent. On ne peut pas être proche de Dieu avec son âme sans que nos actions ne suivent. Ainsi Dieu a préparé d’avance des œuvres bonnes1 afin que nous les pratiquions.

Avant de nous aventurer à trouver quelques unes de ces œuvres auxquelles nous pourrions être appelés, il nous faut bien préciser les choses. Les œuvres sont certes la manifestation de notre repentance2 mais il est tentant de prendre des raccourcis en essayant de bien œuvrer tout en court-circuitant Dieu. En effet, la motivation de notre action dans le monde peut très facilement dévier en particulier quand on agit pour Dieu sans agir avec Dieu. D’un point de vue extérieur, on ne voit pas la différence. Mais d’un point de vue intérieur, c’est dévastateur car en voulant bien agir, on finit par tomber dans l’idolâtrie. Voyons pourquoi.

Agir pour Dieu semble être requis par la Croix : Dieu est mort pour moi donc j’agis pour lui. Mais ce n’est pas exactement comme ça que Dieu veut que nous vivions de son amour. Nous l’avons vu, la volonté de Dieu c’est la relation. Ce qui compte pour lui c’est que nous agissions avec lui avant que nous n’agissions pour lui.

Car il n’est pas possible de ne faire qu’agir pour Dieu au sens ou nous pourrions ne faire que des choses utiles à Dieu. Par contre il est tout à fait envisageable (au moins théoriquement) de toujours agir avec Dieu. Même quand je fais des choses pour moi-même. Et ce qui est extraordinaire c’est que si j’agis avec Dieu, quoi que je fasse, pour lui, pour les autres ou pour moi-même, cela devient une œuvre pour Dieu.

Car être chrétien, ce n’est pas faire ou accomplir. Si on se définit par ce qu’on fait, ou pire si une église définit l’être chrétien par les actions, on tombe dans l’abus qui est un résultat d’une idolâtrie religieuse, toute chrétienne semble-t-elle.

A vouloir trop agir directement pour Dieu, le risque est de chercher à plaire à Dieu avec des forces humaines. Indiciblement nous cherchons à performer pour Dieu, puis à chercher l’approbation de Dieu dans nos résultats (dans le monde occidental, nous sommes formatés dès l’enfance pour penser ainsi). Et nous stressons de ne pas arriver à offrir à Dieu ce que nous pensons qu’il veut. Ou pire nous nous glorifions (inconsciemment, bien sûr, car nous ne nous l’avouons même pas à nous-mêmes et le proclamons encore moins publiquement, ce ne serait pas « chrétien ») de ce que nos résultats sont à la hauteur (à la hauteur de quoi ? du sacrifice du Christ ?). Stress ou auto-glorification, c’est le résultat de l’idolâtrie. Idolâtrie qui paradoxalement est … chrétienne. Nous dépensons nos forces humaines pour offrir à Dieu quelque chose en pensant que ça va lui faire plaisir. Or il pourrait produire ce même résultat juste comme ça d’un claquement de doigt (mais nous avons vu en explorant la liberté qu’il nous laisse qu’il ne le fera pas car ce n’est pas ainsi qu’il a prévu les choses). Agir n’est donc pas ce que Dieu veut. Dans le Sermon sur la Montagne Jésus nous demande de : « Chercher d'abord le règne de Dieu et sa justice ». Vouloir établir la justice de Dieu sans savoir ce qu’elle est3 d’abord c’est courir à la catastrophe, malgré tout le bons sentiments avec lesquels on agit.

Ainsi il faut toujours se rappeler que le vouloir de Dieu c’est la relation sous peine de devenir idolâtre. Il faut toujours se rappeler que la racine du péché4 c’est de croire que nous sommes nous-mêmes Dieu, le plus souvent inconsciemment. Si Dieu veut que nous puisions nos forces en lui pour établir sa justice, c’est parce qu’il nous considère comme des sujets et non comme des esclaves.

Ceci étant dit, maintenant que nous sommes avertis, devons nous rester les bras croisés en ne faisant rien par peur de devenir idolâtre si nous nous mettions à vouloir faire quelques bonnes œuvres ? Bien évidemment non. Comme dirait Paul : que cela ne soit pas !

En premier lieu, il est devenu évident après tout ce qu’on a déjà dit qu’il nous faut cultiver notre relation avec Dieu. Et ce, dans le secret, pour que nous n’idolâtrions pas notre propre spiritualité comme les hypocrites de Matthieu 6,5.16. Ainsi Jésus nous dit :

quand tu pries, entre dans la pièce la plus retirée, ferme la porte et prie ton Père qui est dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra...

...quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage, afin de ne pas montrer que tu jeûnes aux gens, mais à ton Père qui est là, dans le secret ; et ton Père, qui voit, là, dans le secret, te le rendra (Matthieu 6,6.17-18).

Ensuite, lorsque nos priorités sont bien ordonnées nous pouvons agir pour Dieu et faire ce que des disciples de Jésus font (donc non pas naturellement, mais par l’Esprit).

Un des commandements de Jésus les plus fortement proclamés est celui de « s’aimer les uns les autres ». L’évangile de Jean nous donne cette parole de Jésus :

Je vous donne un commandement nouveau : que vous vous aimiez les uns les autres ; comme je vous ai aimés, que vous aussi, vous vous aimiez les uns les autres. Si vous avez de l'amour les uns pour les autres, tous sauront que vous êtes mes disciples (Jean 13,34-35).

L’amour entre les chrétiens matérialise l’amour de Dieu et est facteur d’attraction pour le monde. Certes l’amour de Dieu a déjà été matérialisé par la Croix, mais cet évènement historique est actualisé dans l’amour des chrétiens les uns pour les autres en particulier lorsqu’ils se réunissent pour la fraction du pain (1Corinthiens 11,17-22). Lorsque l’amour entre chrétiens ne se voit pas (parce qu’il n’existe pas) c’est un double scandale car c’est négliger le salut du monde et renier la Croix.

Pour s’aimer les uns les autres, pas besoin d’aller très loin. Lire quelques passages du Nouveau testament contenant l’expression « les uns les autres »5 permet de se convaincre de l’ampleur du travail à accomplir.

Mais il ne s’agit pas seulement de s’aimer les uns les autres dans un petit club fermé. Si « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique »6, nous aussi nous devons aimer le monde pour lui donner ce que nous avons de plus précieux. Les disciples, comme l’a fait leur maître, ont aussi la lourde tâche de continuer à exhorter le monde à la repentante et à proclamer le royaume de Dieu (Matthieu 4,17). Au moment de se séparer des apôtres qui dans les évangiles synoptiques représentent toute l’Eglise, Jésus leur dit :

Allez, faites des gens de toutes les nations des disciples, baptisez-les pour le nom du Père, du Fils et de l'Esprit saint, et enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai commandé7.

La encore il y a de quoi s’affairer ! Et le cœur que Pierre ou Paul ont pu engager dans l’obéissance à ce commandement (ce qu’on voit à travers les Actes des apôtres) est exemplaire. Nous sommes chrétiens grâce à de tels hommes. Mais pas parce qu’ils étaient extra-ordinaires, mais parce qu’ils étaient portés par leur relation avec Jésus le crucifié-ressuscité. Paul dit en 1Corinthiens 9,16-18 :

annoncer la bonne nouvelle n'est pas pour moi un motif de fierté, car la nécessité m'en est imposée ; quel malheur pour moi, en effet, si je n'annonçais pas la bonne nouvelle ! Si je le faisais de mon propre gré, j'aurais un salaire ; mais si je le fais malgré moi, c'est une intendance qui m'est confiée. Quel est donc mon salaire ? C'est d'offrir gratuitement la bonne nouvelle que j'annonce, sans user réellement du droit que cette bonne nouvelle me donne.

Comme Jésus, il ressentait que sa nourriture, c'est de faire la volonté de celui qui l'a envoyé et d'accomplir son œuvre. Mais il ne tire pas de fierté de l’œuvre qu’il accompli, non pas qu’il ne soit pas fier8, mais il ne tombe pas dans l’idolâtrie : son énergie il la tire de sa relation avec Dieu, pas de ce qu’il fait ni de ce qu’il réussit :

... jamais je ne mettrai ma fierté en rien d'autre que dans la croix de notre Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde est crucifié pour moi, comme je le suis pour le monde ! Car ce qui importe (...) c'est une création nouvelle9.

Paul avait de son œuvre une très haute opinion. Il avait le sentiment en étant chrétien, en proclamant la Croix, en se donnant corps et âme pour cela, de participer à « une création nouvelle ». Rappelez-vous : c’est la perspective de Dieu dès la Genèse. La question maintenant est la suivante : est-ce aussi la nôtre en ce siècle désenchanté ?

Pour méditer :
- Est-ce qu'il m'arrive de vouloir faire ce que Dieu veut par mes propres forces ? Est-ce que je peux donner des exemples ? Comment changer concrètement dans ces domaines ?
- Comment faire pour être toujours dans la volonté de Dieu ?- Est-ce que je comprends ce qu'est l'idolâtrie ? Est-ce que je comprend que si j'agis pour Dieu mais sans Dieu, je suis dans l'idolâtrie ?
- Est-ce que je comprends comment l'amour dont parle Jésus dilate mon cœur en me demandant de m'aimer moi-même puis d'aimer mon prochain chrétien comme moi-même, puis mon prochain non chrétien aussi ?


Notes

1 Qui ne sont pas nécessairement des œuvres de charité nous le verrons.

2 Luc 3,8 ; Actes 26,20

3 Ce n’est pas mon propos ici de détailler ce qu’est la justice de Dieu. Pour en avoir une vision biblique on peut lire Romains 1,16 à 4,25 (dans sa globalité !).

4 Il ne sert à rien de vouloir lutter contre les péchés qui se manifestent dans nos vies sans lutter d’abord contre la racine : le désir de toute puissance, l’idolâtrie de nous-mêmes ou de quelque personne humaine (même religieuse tel un pasteur, un évêque fut-il celui de Rome, un saint… cf. 1Corinthiens 1,12-13). Tout cela est souvent refoulé par notre morale chrétienne, nous ne l’avouerions pour rien au monde et pourtant c’est souvent bien présent.

Lutter contre le péché n’est pas un combat moral, c’est d’abord un combat spirituel.

5 En grec : ἀλλήλους (allèlous) qu’on trouve dans 94 versets du Nouveau Testament.

6 Jean 3,16a

7 Matthieu 28,18-19

8 1Corinhtiens 9,1-2 - 2Corinthiens 7,14

9 Galates 6,14-16