Usurpation du Divin – Moïse

En matière d’usurpation du divin, ou de manifestation du désir de toute puissance humaine, l’histoire d’Israël est un recueil fascinant. Ici je me restreindrai à Moïse, figure emblématique.

Moïse n’entra pas dans la terre promise. Le livre des Nombres et le Deutéronome donnent diverses raisons1 pour cela. En Nombres 20,7-13 il y a une reprise d’Exode 17,1-7 mais qui se termine pas une curieuse notice sur le manque de foi de Moïse et de son frère Aaron. Celle-ci fait l’effet d’un rajout postérieur au texte initial probablement dans le but de fournir une explication au fait que Moïse ne pénétra jamais en terre promise. Quoi qu’il en soit de la construction littéraire du passage, Moïse est « accusé » d’avoir été un mauvais exemple pour le peuple. L’explication n’est pas évidente, mais il y a un décalage entre ce que Dieu a demandé à Moïse et ce que Moïse à fait :

7Le SEIGNEUR dit à Moïse :
8Prends le bâton

 

et rassemble la communauté, toi et Aaron, ton frère.

 

9Moïse prit le bâton qui était devant le SEIGNEUR, comme celui-ci le lui avait ordonné.
10Moïse et Aaron réunirent l’assemblée en face du rocher.

Jusque là tout va bien, le décalage est sur la deuxième partie de l’ordre de Dieu

Vous parlerez au rocher,
sous leurs yeux,

 

 

 

 

et il donnera son eau ;
tu feras sortir pour eux de l’eau du rocher
et tu feras boire la communauté et son bétail.

Moïse leur dit :



 

Ecoutez, je vous prie, rebelles !
 Est-ce de ce rocher que nous ferons sortir de l’eau pour vous ?
11Puis Moïse leva la main et frappa deux fois le rocher avec son bâton.
Il en sortit de l’eau en abondance.


 

La communauté but, et son bétail aussi.

La rébellion ou sacrilège de Moïse (dont parlent Nombres 27,12-23 et Deutéronome 32,48-52) aux eaux de Meriba consiste à parler au peuple au lieu de parler au rocher, et à frapper le rocher au lieu de lui parler. Un psychanalyste voit tout de suite la sublimation qui s’opère : Moïse voulait se venger du peuple et en frappant le rocher voulait frapper le peuple. Ce que Dieu visiblement ne voulait absolument pas faire : Lui voulait simplement donner à boire au peuple.

Il n’est pas rare que les bonnes intentions religieuses tournent au fiasco. Combien d’institutions ont commencé sur une bonne idée qui a ensuite été dévoyée par des humains voulant (souvent inconsciemment) faire à la place de Dieu ce qu’ils estiment que Dieu (ou plutôt l’image qu’ils ont de Dieu) aurait fait ? L’histoire de l’église en regorge.

Mais d’un point de vue écologique cette histoire peut aussi prendre sens. Moïse est sensé donner au peuple ce dont il a besoin. Mais dans sa colère non seulement il frappe le rocher ce qui peut être compris comme une exploitation de la nature et il le fait deux fois (sur-exploitation de la nature !). Alors du rocher sort plus que ce dont le peuple a besoin : l’eau sort en abondance. Ainsi ce qui semble une bénédiction de Dieu (l’abondance) devient, en tout cas pour Moïse, une malédiction2.

De la même manière, il peut sembler que notre monde de surabondance soit une bénédiction quand en réalité il est une malédiction : notre être est transformé par le désir d’avoir toujours plus et surtout toujours plus de ce qui est superflu. Et pour produire ce toujours plus, nous détruisons notre environnement alors que ce n’est même pas utile pour notre survie (et se fait même au détriment de la survie des plus précaires sur la planète).


Notes

1- Nombres 2,23-27 où Moïse implore le Seigneur de lui laisser passer le Jourdain et où le Seigneur le rabroue comme un père son enfant ne donne pas de raison explicite. Deutéronome 1,37 semble impliquer que Moïse ne faisait pas partie de ceux qui eurent confiance en Dieu lors de l’exploration du pays par les douze espions. Deutéronome 31,2 explique que c’est l’âge de Moïse qui est problématique. Deutéronome 34,1-5 ne donne pas d’explication bien que ce passage suive de peu l’explication du chapitre 32.

2- Certains auteurs juifs n’ont pas pu se résoudre à accepter la malédiction de Moïse. Ainsi dans le Siracide (44,23 à 45,5 ) livre qu’on retrouve dans la traduction grecque des Septantes, Moïse n’est pas mort comme le dit le Deutéronome mais il est monté au ciel.

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