Peut-on dire que la Bible est sans erreur ?

Question :

J'ai souvent des difficultés à croire tout ce qui est écrit dans la bible. J'ai du mal à comprendre qu'elle puisse être sans erreur. Comment les humains qui l'ont écrite ou assemblée ont pu être inspiré uniquement par Dieu et pas influencés par le monde ? Comment sait-on que les livres incorporés viennent vraiment de Dieu et que les livres rejetés ne viennent pas de Dieu ? Je comprends que les livres cités par Jésus ou que les livres prophétiques soient incorporés. Cependant, est-ce que c'est le cas de tous les livres de l'ancien testament ? Même si c'est le cas comment être sûr qu'il n'y a pas de fautes entre les vérités ?
J'ai souvent entendus 2 types de réponses qui ne m'ont pas forcément convaincue:
- les livres sont à interpréter différemment en fonction du type littéraire.
Je comprends cet argument, et il répond à certaines de mes incompréhensions lors de mes lectures. Mais est ce qu'il serait possible que certaines de mes incompréhensions viennent d'erreurs ?
- Dieu ne laisserait pas d'erreurs dans sa Parole.
J'ai du mal à accepter cet argument car je trouve que c'est un argument pour justifier plein d'autres pratiques religieuse. Si Dieu ne laisse pas d'erreur dans sa Parole pourquoi laisserait il des livres entiers de doctrines différentes être lues et prêchées comme vérités ?
Merci d'avance.

Lara


Éléments de réponse :

Vaste sujet, qu’il sera difficile de rendre concis d’autant que si elles ont un lien les unes avec les autres, il s’agit de plusieurs questions distinctes. Mais elles sont vraiment pertinentes et utiles. Se poser ce genre de questions est le signe d’une vraie « béréenne-attitude » !

Globalement, la question de Lara concerne ce qu’on appelle « l’inerrance »1 de la Bible. C’est une doctrine qui développe à l’extrême le sola scriptura (l’écriture seule) proclamé par Luther. Les tenants de l’inerrance biblique proclament que la Bible étant inspirée de Dieu (2Timothée 3,16) elle ne peut contenir aucune erreur d’aucune sorte. Selon cette doctrine, la Bible ne contient que des vérités, non seulement dans les domaines spirituel ou théologique, mais aussi dans les domaines historique, géographique, scientifique, anthropologique, psychologique, etc.

Le but initial est de donner à la Bible une autorité unique et suffisante pour le croyant. Mais en réalité parce que cette doctrine est incohérente avec le principe de réalité (ce qu’on observe dans la vraie vie) elle est contre-productive car elle pose plus de problèmes qu’elle n’en résout (comme ceux que Lara soulève mais bien d’autres encore !).

Résumons en quelques mots la logique de la doctrine de l’inerrance biblique : si la Bible est inspirée, elle est la Parole de Dieu au sens ou elle contient « les mots de Dieu » donnés à l’humanité non seulement pour que les humains puissent connaître Dieu, mais aussi pour qu’ils sachent comment mettre en pratique sa volonté dans tous les domaines de leur vie. Si telle est le cas la Bible doit pourvoir être accessible, et facilement compréhensible par tout le monde. Elle doit donc être interprétée littéralement, de manière universelle.

Cette façon de voir pose au moins trois problèmes immédiats :
- d’abord tous ceux qui défendent l’inerrance biblique n’arrivent pas à la même interprétation des textes, ce qui rend douteux l’idée de la facilité d’interprétation. Si comme le mentionne Lara certains sont persuadés que Dieu ne laisserai pas d’erreur dans sa Parole, alors pourquoi autant d’églises et mouvements différents ?
- ensuite si la Bible est sensée donner à l’homme des directives sur la manière de conduire sa vie, comment se fait-il que ces directives soient si compliquées à comprendre au point que les chrétiens n’arrivent pas à se mettre d’accord sur ces points.
- enfin cela ne rend pas justice à la nature même du texte biblique, ce qui est l’objet des questions de Lara qui demande finalement : qu’est-ce que la Bible ?

D’un point de vue spirituel (et spirituel seulement - c'est-à-dire du point de vue de l’Esprit), la Bible est la collection de livres « autorisés » dont l’étude nous permet de rencontrer la Parole de Dieu. Cependant les documents bibliques ne sont pas tombés du ciel et Jésus n'a lui-même rien écrit, et ce n’est pas lui qui a « autorisé » ces livres à entrer dans la Bible.

En ce qui concerne l’Ancien Testament, le processus est complexe. C’est pendant l’Exil (6e siècle avant Jésus-Christ), alors que le peuple d’Israël se demande pourquoi Dieu l’a abandonné que se fait sentir un besoin d’une collection de documents écrits. La Torah (l’enseignement ou la loi) en grande partie déjà écrite et utilisée comme référence spirituelle est alors assemblée. Elle contient pèle mêle (ce qui rend son exégèse délicate) les réponses des prêtres et des scribes à cette grande interrogation : « pourquoi Dieu a-t-il laissé le peuple être écrasé par ses ennemis ? ». Cette Torah sera définitivement considérée comme Écriture dès le 5e siècle avant Jésus-Christ. Mais les prophètes aussi avaient des idées sur les raisons spirituelles de l’Exil du peuple, parfois même ils l’ont prédit avant même qu’il ne devienne réalité en 587 avant Jésus-Christ. La liste des Nevihim (prophètes) a été close un peu plus tard, aux alentours de la moitié du troisième siècle avant Jésus-Christ. Pour les Ketouvim (autres écrits), Luc 24,44 ou Matthieu 7,12 montrent que tout n'est pas encore joué même au temps du Nouveau Testament. Le canon juif s'est définitivement fixé entre 90 et 132 après Jésus-Christ. Cependant si les samaritains ne reconnaissaient que la Torah comme venant de Dieu et les pharisiens la Bible hébraïque, de leur côté les juifs de langue grecque (surtout les communautés égyptiennes très influentes, Alexandrie Éléphantine) incluaient dans leurs écrits ce qu’on appelle les livres deutéro-canoniques (écrits en grec et non en hébreu ou araméen).

Pour le Nouveau Testament, après Jésus, la tradition s’est transmise par oral. Puis certains chrétiens on ressenti le besoin d’écrire pour se souvenir. Les premiers écrits étaient de trois natures : des sources de logia (des dires ou paroles), des récits de la passion : qui avaient pour but de montrer que la passion entre dans le plan de Dieu même si elle renverse les attentes messianiques (1Corinthiens 1,18-25) et des lettres. Dans un second temps, s’est fait sentir le besoin de remettre les paroles de Jésus dans leur contexte, c’est ainsi qu’est né vers 65-70 après Jésus-Christ le genre « évangile » grâce à celui qu’on appelle Marc (sans savoir si cela est vrai, mais ça n’a pas d’importance spirituelle). C'est au 2e siècle qu'ont lieu les moments décisifs de la sélection des écrits même si le résultat définitif n'est obtenu qu'à la fin du 4e quand Athanase d'Alexandrie en 367 dresse la première liste des 27 livres. C’est donc un processus collectif qui a permis le choix des écrits canoniques (c'est-à-dire qui ont une autorité).

Difficile de faire plus court mais cela suffit pour montrer que cette histoire est un processus... humain. Pourtant cela n’empêche pas cette histoire d’être aussi un processus... spirituel c'est-à-dire issu de la volonté de l’Esprit (Jean 16,13). Les deux interprétations ne sont pas en conflit. Il est même intéressant de comprendre comment les différentes traditions qu’on trouve dans la Bible et qui sont parfois en tension2 les unes avec les autres sont réconciliées grâce au Christ qui finalement est la vraie Parole de Dieu (Jean 1,1-3.14 ; 5,39 ; 6,14)

J’espère ainsi permettre à Lara et à tous mes lecteurs de comprendre que le texte de la Bible ne peut pas se comprendre sans le replacer dans l’histoire des évènements qui lui ont permis de voir le jour. La Bible n’est pas écrite par Dieu, elle est un texte qui témoigne de la relation avec Dieu du peuple d’Israël (et, en partie, de l’humanité toute entière). Or cette relation est faite de hauts et de bas, mais toujours avec l’espérance du salut comme le dit 1Pierre 1,10-12 qui est une écriture clé pour comprendre à quoi sert la Bible d’un point de vue spirituel :

10Ce salut,
les prophètes qui ont parlé de la grâce qui vous était destinée
en ont fait l’objet de leurs recherches et de leurs investigations.

11Ils se sont appliqués à découvrir
quelle époque
et quelles circonstances désignait l’Esprit du Christ qui était en eux,
Esprit qui, d’avance, attestait les souffrances du Christ et la gloire qui s’ensuivrait.

12Il leur fut révélé que ce n’était pas pour eux-mêmes, mais pour vous,
qu’ils étaient ministres de ces choses, qui maintenant vous ont été annoncées
par l’entremise de ceux qui vous ont communiqué la bonne nouvelle,
avec l’Esprit saint envoyé du ciel ;
c’est en ces mêmes choses que les anges désirent plonger leurs regards.

Ce passage nous explique que ce que disent les prophètes n’est pas de l’ordre de la vérité brute, mais de l’ordre de la recherche ou de l’investigation. Pour le dire autrement : les prophètes (ce qui désigne la Torah et les Ketuvim, c’est à dire ce qu’on considérait comme la Bible à l’époque) avancent à tâtons dans leur recherche du salut et de la compréhension de l’Esprit.

Ainsi la Bible elle-même nous explique qu’elle n’est pas une parole de vérité mais une sorte de compte rendu de recherche. La recherche de l’Ancien Testament se termine avec la Bonne Nouvelle annoncée dans le Nouveau si bien que relire l’Ancien après avoir lu le Nouveau permet de le comprendre différemment en saisissant comment Dieu a agit tout au long de l’histoire. En particulier en comprenant Dieu comme le Dieu de la Croix, même quand on lit l'Ancien Testament car Jésus-Christ est le même hier, aujourd’hui et pour toujours.

Dieu se révèle à travers la Bible. Mais la Bible n'est pas « plate ! ». Ce que je veux dire par là, c'est que tout n'a pas la même valeur spirituelle dans la Bible. Pour aller vite, Dieu se révèle lui-même partiellement dans la création, graduellement dans les Écritures, complètement dans le Christ, et radicalement à travers la Croix. Car la Bible est d’abord une histoire, l’histoire de la relation de Dieu avec son peuple et l’humanité (qu’on appelle souvent histoire du salut). Quand on étudie la Bible pour être guidé spirituellement en tant que chrétien, notre étude doit donc être centrée sur le Christ (lecture « christologique ») ce qui signifie que chaque texte que nous lisons doit être scanné à travers l'enseignement et le comportement de Jésus. Comme l'a dit Charles Spurgeon (1834-1892) :

Ô toi qui ouvre ta Bible pour comprendre un texte, sache que
pour entrer dans la signification du texte il faut passer par la porte qui est : le Christ
3

La vérité de la Bible c’est le Christ (Jean 14,6) et en particulier la Croix (1Corinthiens 1,18-25 ; 2,1-5 ; 15,1-8 ; Philippiens 2,5-9 ; etc.). La vérité n’est pas dans un texte, mais dans l’histoire du salut que seule la Bible nous raconte. Ce qui est important n’est pas le texte, mais ce que dit le texte. Pour paraphraser un célèbre dicton je dirais que : « quand le texte montre Dieu, l’imbécile regarde le texte ».

Or ce que l’Esprit dit, à travers le texte, parle à notre esprit (Romains 8,16). C’est pourquoi, s’il y a des « erreurs » dans la Bible d’un point de vue historique, géographique, scientifique, éthique et même théologique, cela n’a pas d’importance. Au contraire, accorder une trop grande importance à ce genre de détails c’est paradoxalement vouloir vivre spirituellement selon la chair, c’est vouloir une preuve charnelle de la vérité alors que celle-ci est spirituelle. S’acharner à « prouver » que la Bible est sans erreurs (inerrante) c’est utiliser son énergie pour une cause qui n’en n’est pas une, du moins pas du point de vue de Dieu.

Pour aller plus loin :

En français :

http://bereenne-attitude.com/accueil/interpretation-accueil/

En anglais (mais plus complet) :

http://bereenne-attitude.com/english/bible-interpretation/


Notes

1 Ce mot ne se trouve pas dans les dictionnaires classiques. Il veut dire « sans erreur ».

2 Je n’utilise pas le mot « contradiction », car si on peut les appeler ainsi d’un point de vue synchronique (c'est-à-dire sans prendre en compte le développement du texte en fonction des circonstances historiques), cela n’est plus le cas quand on considère la Bible d’un point de vue diachronique (en comprenant comment le texte a évolué en fonction de l’histoire du peuple).

3 Cité dans : Christian SMITH, The Bible made impossible, why biblicism is not a truly evangelical reading of Scripture, Brazos Press, Grand Rapids (MI), 2012, p.98

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